Maurice Boussuge 1919 - 2008, ACPG
Album photos de prisonniers français dans la région actuelle de Jésénik, en Tchéquie
Les années de guerre de mon père sont le point de départ de mes recherches.
Souvenirs d’enfance, comme souvent. Du cirque à la fin de l’année à la porte de Versailles, du music-hall, des séances de cinéma. Rien de plus naturel, mais qui était à l’origine de ces programmes dans les années soixante ? L’association des anciens prisonniers de guerre, la FNPG, dont mon père était membre. Il le fut pendant plus de soixante ans et reçu un beau diplôme.
De son vivant, il évoquait cette période, sans ressasser. Sa guerre, sa captivité, son retour en France, étaient ses thèmes favoris. Il n’a jamais évoqué ce qu’il a pu vivre de pire ou dramatique, si cela s’est produit, le gardant enfoui au plus profond de lui. Il avait subi un déluge de feu en juin 1940, avait été confronté deux fois à une mort immédiate durant sa captivité. Au fur et à mesure que je grandissais, il décrivait les scènes de carnage humain dans lesquelles il avait été pris. Il ne s’était jamais étendu sur d’éventuelles souffrances. Je et nous l’avons parfois questionné mais pas au-delà d’une certaine retenue. Il en parlait, alors que beaucoup d’autres se sont tus.
Je disposais de documents militaires et de rapatriement et de quelques indices sur son unité et les autres unités avec lesquelles il a combattu. J’ai donc effectué des recherches au Service historique de la Défense pour reconstituer son parcours militaire, ai rassemblé ses dires, effectuer des recherches sur la région de Tchécoslovaquie où il a été prisonnier. Lorsqu’il parlait du combat de juin 1940, auquel il a participé en Eure et Loir, il ne savait pas le situer et pour cause, cela se passait à quelques jours de la demande d’armistice, alors que l’armée était en plein repli vers le sud. Tout a explosé dans ma tête lorsqu’à Vincennes, après avoir fait des tours et des détours dans les archives pour tenter d’arriver à ce que je cherchais, je trouve le rapport de l’officier qui commandait l’unité à laquelle appartenait mon père. Il y avait même des croquis. Pas de doute, il s’agissait bien des lieux et des villages que mon père évoquait : Saint-Sauveur, Marville-les-Bois, Chêne-Chenu, au nord-ouest de Chartres. Il y avait lutté pied à pied avec les Allemands, mais il ploya, comme les autres, sous la puissance de feu ennemie et fut fait prisonnier.
En 2017, le jour anniversaire de sa capture, par un bel après-midi de juin, je me suis rendu en Eure et Loir, sur les lieux où il été fait prisonnier. Je me suis placé au point qui servait de poste de commandement français, j’ai fait la tournée des villages et des cimetières. J’ai trouvé une plaque sur l’église de Saint-Sauveur, rendant hommage aux morts de la bataille. Ils ont été inhumés provisoirement dans le petit cimetière attenant. Ailleurs, rien. Oubli total. J’ai pris la petite route sur laquelle mon père a été ramené depuis le milieu du champ où il était caché sous un amoncellement de foin qui séchait au soleil. J’ai imaginé approximativement le champ, pas loin du petit bois, qui existe encore, où il avait projeté de mieux se cacher. « Quand ça te pète au cul et que tu n’as plus rien, l’instinct grégaire l’emporte et tu cherches à sauver ta peau », mais il pensait bien qu’il aurait quand même été capturé, tant les Allemands ratissaient la zone.
Après, ce sera pour les KG, une longue marche et un déplacement dans le Nord puis le départ en Allemagne. Il se retrouvera, très loin à l’est, en Tchécoslovaquie, dans le territoire des Sudètes. La suite, ce n’est pas La vache et le Prisonnier, mais mon père s’est débrouillé pour aller travailler dans une ferme. Il en parlera toujours avec une certaine nostalgie, teintée d’un humour de circonstance, en raison du système D à la française qui était en usage, même dans ces circonstances. Les Russes le libèrent en 1945, il en gardera un mauvais souvenir, comme tous ceux qui les ont croisés. Il a la bonne idée de changer de colonne de tri des hommes pour passer côté américain. Ils n’ont pas toujours été sympas avec nous, mais on était sûr de repartir chez nous, vers l’ouest, disait-il toujours.
Au récit de la guerre et de la captivité, j’ai ajouté une série d’annexes : l’historique des unités au sein desquelles il a combattu, une analyse personnelle des causes de la défaite de 1940, la chronologie des événements, des photos et une liste de PG avec des noms et des points d’interrogation. Je n’ai pas eu la chance d’être contacté par une personne ayant reconnu un membre de sa famille.
Ce site est celui qui a le plus de lecteurs. Des questions fréquentes m’y sont posées pour savoir comment retrouver le passé d’un prisonnier qui a été taiseux. On veut savoir. Ou encore des précisions sur les unités militaires qui ont combattu en Eure et Loir et l’emblématique 15ème régiment d’infanterie alpine d’Albi.